Détonations

• DÉFI SABLIER #1 • (5)

Une détonation. Si puissante qu’elle se répercuta sur les façades des maisons et vibra sous les fondations.

Loïse se redressa d’un bond, tirée hors de son cauchemar. Ces avions, elle les avait vus ! Les dernières images du rêve lui revinrent. Elle, debout dans l’obscurité de la rue, les dalles froides sous ses pieds nus. Le calme régnait, le froid lui griffait les membres. Les étoiles brillaient clairement en cette nuit d’automne. Ses yeux curieux scrutaient la voûte céleste sans se lasser du spectacle. Puis, soudain, les vrombissements. Ils approchaient, elle le sentait. Des formes noires se découpèrent dans le ciel, le bruit devenant insoutenable. Au-dessus d’elle, les avions semaient les bombes de leurs entrailles. Une fila droit sur elle. Elle leva le bras. Puis il y eut l’explosion.

Au même moment, la sirène se déclencha. Trop tard. L’ennemi avait commencé à moissonner les vies.

Ses doigts palpèrent les draps autour d’elle, humides de sueur. Un autre tremblement la fit frémir et les battements de son cœur s’accélérèrent.

– Papa !

Elle attendit, tendant l’oreille à la réponse. Qui ne vint pas. Elle répéta plus fort. Cette fois, les avions qui approchaient étaient perceptibles. Les lèvres de la fillette se mirent à trembler au silence de son père. Le sang s’était figé dans ses veines.

Non, il fallait se reprendre ! Et vite : le temps lui manquait.

Réprimant une grimace de douleur, elle se laissa tomber de son lit et heurta le plancher avec dureté. Elle rampa, tâtonna du bout des doigts son chemin jusqu’à l’issue. Une terrible pensée lui survint : comme elle regrettait la blessure qui l’avait à jamais plongée dans l’obscurité ! Puis une autre, plus noire : mais peut-être aussi ne frémira-t-elle pas de peur à la vision de la mort.

Son épaule cogna un meuble qu’elle devina être le lit. Elle hurla de découragement, mais poursuivit sa route. Enfin, elle sentit le chambranle de la porte et le passa.

Hélas ! L’idée ne lui vint qu’au dernier moment : il lui fallait traverser l’escalier. Mais comment pourra-t-elle y parvenir seule ?

Une bombe s’ouvrit à quelques rues de là. Les vitres volèrent en éclat. En bas, un vase chuta pour se briser sur les dalles froides. Les cadres se balancèrent au mur avant de finalement s’immobiliser, le calme de retour. Mains plaquées sur son crâne, Loïse avait cessé de respirer. Une larme roula sur sa joue pâle.

Elle n’y arriverait pas. C’était impossible. Du haut de ces huit ans, la mort allait venir la cueillir.

Courageusement, elle fit tout de même une nouvelle tentative. Accroupie, elle descendit une marche après l’autre. Les sanglots lui nouaient la gorge. Ses doigts tremblaient à chaque contact du vide avant de fermement se refermer sur une prise. Une longue minute s’écoula. Puis une autre. Les bombes continuaient de pleuvoir autour de la maison et la jeune fille se demanda par quel miracle celle-ci était demeurée intacte.

Tout à coup, on la souleva. Des bras forts s’enroulèrent autour d’elle et la pressèrent contre un torse chaud. Des larmes de joies perlèrent de ses yeux et elle enfouit sa petite tête dans la nuque de son père.

Il courut. Une plainte s’élevait du ciel et la fillette devina que la maison ne serait plus épargnée. Elle sentit le souffle haletant de son protecteur sur sa joue et lui remis tout son espoir. Ils allaient s’en sortir.

Les secondes s’égrenèrent avec lenteur. Enfin, une main se posa sur la poignée de la porte menant à la cave.

Le projectile s’écroula sur la maison au moment même où le battant se refermait.

Ils se nichèrent dans un coin de la pièce exiguë, serrés l’un contre l’autre. Ils ne savaient combien de temps durerait l’enfer aux dehors. Malgré quoi, leur chaleur partagée leur prodiguait un certain réconfort.

Des bombes tombaient au moment où l’on s’y attendait le moins. Pourtant, le cœur régulier qui battait à travers la poitrine de son père était tout ce qui importait à Loïse. Un cœur battant. Un cœur vivant. Elle ferma les yeux et se laissa bercer.

Elle était sauvée.


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